Trésor caché – Liza’N’Eliaz
Aux yeux du grand public, Liza’N’Eliaz reste sans doute le secret le plus précieux de la scène techno française. Du côté de l’underground, en revanche, l’absence de reconnaissance accordée à la Flamande, née garçon à la fin des années 1950 et décédée en 2001, reste à n’en pas douter parmi les plus grandes injustices de l’histoire des musiques électroniques. Il y en a, en effet, des choses à dire sur celle qui, autrefois, influençait Jeff Mills, jouait ses sets à 250 BPM et inventait par la même occasion le speedcore, l’un des genres les plus extrêmes de la scène techno, toujours largement incompris aujourd’hui.
Écrire sur Liza’N’Eliaz en 2017, c’est se laisser envahir par une multitude d’images, de flashs et de souvenirs qui permettent de mesurer la rapidité du temps qui a coulé : défilent ainsi comme un film en accéléré les premiers échos des rave parties, l’apparition de la scène hardcore, la claque provoquée par ses sets au festival Astropolis ou ailleurs qui faisaient vieillir d’un seul coup les grands noms des musiques électroniques, ou encore l’émergence en Belgique de jeunes groupes mélancoliques jouant la mine basse un rock qui fera les grandes heures du label Les Disques du Crépuscule. On est alors plongé dans les années 1980 et Liza, née garçon un jour de février 1958, commence à se faire un nom au sein de la scène belge, option new wave. On l’entend aux claviers des Tueurs De La Lune De Miel, de Divorce ou encore de Krise Kardiak. Un temps, Liza participe même aux tournées, sans réellement savoir que cette vie sur la route s’apprête à chambouler le destin qu’elle semblait s’être tracée.
La scène se passe en 1985, lors d’un concert en Bretagne de Krise Kardiak. Au sein du public, une certaine Yvette, celle-là même qui deviendra sa compagne, sa muse et sa manageuse. Aucun doute : le coup de foudre est total, si bien que Liza s’installe rapidement dans le Finistère, songe à réinventer sa carrière et se trouve un nouveau pseudonyme : Liza’N’Eliaz. «Liza», parce que c’est le surnom donné aux transsexuelles en Flandres ; «Neliaz», parce qu’il s’agit du nom de famille d’Yvette. À la fois simple et réfléchi, ce surnom fait presque office de révélation, comme si Liza pouvait désormais s’affirmer pleinement. Mais une seconde révélation intervient peu de temps après. À Amsterdam, cette fois. Partie taquiner le dancefloor du Roxy avec Yvette, Liza tombe cette nuit-là sous le charme de l’acid-house, de la new beat et de toute cette scène techno qui s’apprête à émerger et qui saura lui rendre hommage – dans les années 1990, Daniel Técoult apparaît sur la scène française et choisit Radium comme pseudo, en référence à un morceau de Liza paru en 1993.
Pour l’heure, Liza doit encore faire ses preuves. Dans les boîtes parisiennes, de préférence. Elle le sait, c’est ici que tout se joue au début des années 1990. Un temps, on l’entend mixer dans les soirées Invaders, puis sur les antennes de Radio FG, alors pilotée par Patrick Rognant, voix mythique des 90’s à qui l’on doit entre mille autres choses les émissions Rave Up. À chaque fois, c’est le coup de cœur : sa sélection fait mouche, ses mixs intriguent. Et, visiblement, sa différence d’âge avec les autres DJ’s de la scène hardcore, souvent plus jeunes, n’est pas un problème. Au contraire, son look – créé sur-mesure par Yvette -, son bagage musical (son grand-père était chef d’orchestre, elle a fait partie d’un ensemble médiéval, etc.) et sa technique fascinent.«On a encore le souvenir de Liza, nous expliquant que jouer avec quatre platines, c’était cool, car avec quatre disques à 120 BPM, légèrement décalés, on arrivait à 480 BPM, rembobinait le co-fondateur d’Astropolis, Matthieu Guerre-Berthelot, à Sourdoreille, avant d’évoquer son live lors de son passage au festival en 1995. Son set, avec Laurent Hô, fut incroyable, atomique. Vingt ans après, des dizaines de personnes nous en parlent encore…»
Rapidement, Liza se crée une réputation. Ce n’est pas la personnalité la plus excentrique du circuit, mais c’est sans doute l’une des DJ’s les plus iconiques. Les plus techniques également. Jeff Mills et Manu Le Malin, à qui elle a fait découvrir le hardcore, sauront s’en souvenir. Tout comme les multiples scènes qu’elle arpente au mitan des nineties : de Mayday à l’Energy de Zurich, en passant par Hellraiser en Hollande ou Borealis et Astropolis en France, Liza figure au programme de nombreux rassemblements devenus fondateurs de l’esprit hardcore. Ses productions, qu’elle signe sur divers labels, (Atom, Mokum, Bonzai ou Provision, qu’elle fonde en 1997), sont elles aussi très prisées. Déjà, parce qu’elles sont rares, même si les compilations Uncivilized World en ont regroupé un paquet, mais aussi parce qu’elles ont régulièrement été composées aux côtés de figures phares de la techno : que ce soit Energy Boost avec DJ Dano, Quantized Particles avec Loren.X ou CTRL 3 avec Laurent Hô, tous témoignent d’une richesse musicale bien plus vaste que peuvent le laisser croire ceux qui ne voient le hardcore que comme une musique pour jeunes drogués inconscients et décérébrés.
À l’inverse, chez Liza, tout est réglé comme du papier à musique : c’est une musicienne précise, et cette précision, ce désir de perfection formelle atteint parfois des sommets de maniaquerie, comme lorsqu’elle note et classe ses différents vinyles en fonction de leur BPM. Voilà sans doute pourquoi la Flamande a toujours détesté qu’on la surnomme la «Queen Of Terror». Certes, la musique de Liza est éprouvante pour les nerfs, physique, et s’écoute seulement très fort, mais elle est également bien plus que ça. Une preuve ? On en a même deux : le titre Y’a des nuages, sorte de pop électronique complètement déréglée et chantée en français, et le single Blue & Red City, où elle se laisse aller à ses délires synth-pop. Ce qui en dit long sur les influences de Liza, sur son savoir-faire mélodique et sur la façon dont s’est construite sa légende.
Le reste de la mythologie qui accompagne aujourd’hui encore Liza’N’Eliaz, c’est une succession de rendez-vous manqués. Alors que les musiques électroniques se professionnalisent, elle, préfère la voie des éternels puristes, des défenseurs de l’esprit originel d’une scène en plein boom commercial. Les DJ’s peuvent bien être devenus les stars de l’époque, céder parfois à l’autoparodie, Liza s’en fiche pas mal : elle maintient le cap, mixe moins, prend peu à peu ses distances et finit même par se dégotter un boulot de secrétaire histoire d’assurer son train de vie. Loin, en somme, des louanges qu’elle mériterait, et qu’elle ne connaîtra jamais. La faute à un cancer du poumon, qui l’emporte le 19 février 2001, renforçant encore un peu plus son aura mystérieuse.
Hidden Treasure – Liza’N’Eliaz
Wednesday, June 14, 2017
In the eyes of the general public, Liza’N’Eliaz remains undoubtedly the most precious secret of the French techno scene. On the side of the underground, however, the lack of recognition given to the Flemish born boy in the late 1950s and died in 2001, remains undoubtedly among the greatest injustices in the history of electronic music. There are, in fact, things to say about the one that formerly influenced Jeff Mills, played his sets at 250 BPM and invented at the same time the speedcore, one of the most extreme genres of the techno scene, still largely misunderstood today.
To write on Liza’N’Eliaz in 2017 is to be overwhelmed by a multitude of images, flashes and memories that measure the speed of time that has flowed: thus scrolling like a film accelerated first echoes rave parties, the appearance of the hardcore scene, the slap provoked by his sets at the Astropolis festival or elsewhere that made the great names of electronic music grow old at one stroke, or the emergence in Belgium of young melancholy groups playing the bass mine a rock that will make the big hours of the label The Twilight Records. We are then immersed in the 1980s and Liza, born a boy in February 1958, begins to make a name for herself in the Belgian scene, new wave option. It is heard on the keyboards of the Killers of the Honeymoon, Divorce or Krise Kardiak. One time, Liza even participates in the tours, without really knowing that this life on the road is about to turn upside down the destiny she seemed to have traced.
The scene takes place in 1985, during a concert in Brittany by Krise Kardiak. In the audience, a certain Yvette, the very one who will become his companion, his muse and his manager. No doubt: the love at first sight is total, so much so that Liza settles quickly in Finistère, thinks to reinvent her career and finds a new pseudonym: Liza’N’Eliaz. “Liza” because this is the nickname given to transsexuals in Flanders; “Neliaz” because it’s Yvette’s last name. At once simple and thoughtful, this nickname is almost a revelation, as if Liza could now assert herself fully. But a second revelation comes shortly after. In Amsterdam, this time. Party teasing the dancefloor of Roxy with Yvette, Liza falls that night under the spell of the acid-house, the new beat and all this techno scene which is about to emerge and which will be able to pay tribute to it – in the 1990s, Daniel Técoult appears on the French scene and chooses Radium as a pseudo, in reference to a piece of Liza published in 1993.
For now, Liza has yet to prove herself. In Parisian boxes, preferably. She knows, it is here that everything is played in the early 1990s. One time, we hear it mixing in the evenings Invaders, then on the antennas of Radio FG, then driven by Patrick Rognant, mythical voice of the 90’s to who owes Rave Up broadcasts among a thousand other things. Each time, it’s the heart stroke: his selection is a hit, his mix intrigues. And, obviously, its age difference with the other DJ’s of the hardcore scene, often younger, is not a problem. On the contrary, her look – tailor-made by Yvette -, her musical background (her grandfather was a conductor, she was part of a medieval ensemble, etc.) and her technique are fascinating. “We still remember Liza, explaining that playing with four turntables, it was cool, because with four disks 120 BPM, slightly shifted, we arrived at 480 BPM, rewinded the co-founder of Astropolis, Matthieu Guerre -Berthelot, Sourdoreille, before evoking his live during his visit to the festival in 1995. His set, with Laurent Ho, was incredible, atomic. Twenty years later, dozens of people are still talking about it … ”
Quickly, Liza creates a reputation. This is not the most eccentric personality of the circuit, but it’s probably one of the most iconic DJ’s. The most technical ones too. Jeff Mills and Manu Le Malin, to whom she introduced hardcore, will remember. Like the many scenes she travels in the middle of the nineties: Mayday Energy Zurich, through Hellraiser in Holland or Borealis and Astropolis in France, Liza is on the program of many gatherings become founders of the hardcore spirit . Her productions, which she signs on various labels (Atom, Mokum, Bonzai or Provision, which she founded in 1997), are also very popular. Already, because they are rare, even if the Uncivilized World compilations have grouped a package, but also because they have regularly been composed alongside key figures of techno: whether Energy Boost with DJ Dano, Quantized Particles with Loren.X or CTRL 3 with Laurent Ho, all testify to a much wider musical richness than those who see hardcore can only believe as a music for young unconscious and decerebrated drug addicts.
Conversely, at Liza, everything is set like music paper: she is a precise musician, and this precision, this desire for formal perfection sometimes reaches heights of maniaquerie, as when she notes and classifies her different LPs. according to their BPM. This is probably why the Flemish has always hated being nicknamed the “Queen Of Terror”. Certainly, Liza’s music is nerve-racking, physical, and only very loud, but it’s also much more than that. A proof ? There are even two: the title Y’a clouds, a kind of electronic pop completely deregulated and sung in French, and the single Blue & Red City, where she indulges in her delusions synth-pop. Which says a lot about Liza’s influences, her melodic know-how and how her legend was built.
The rest of the mythology that still accompanies Liza’N’Eliaz is a succession of missed appointments. While electronic music becomes professional, it prefers the way of the eternal purists, defenders of the original spirit of a scene in full commercial boom. DJs may well have become the stars of the time, give way sometimes to autoparody, Liza does not care about it: it keeps the course, mixes less, gradually takes its distances and even ends up getting a job of secretary story to ensure his lifestyle. Far, in short, the praises she deserves, and she will never know. The fault of lung cancer, which prevails on February 19, 2001, reinforcing a little more its mysterious aura.